Faut-il encore faire des tote bags ?
Le tote bag, c’est un peu ma madeleine de Proust. Bien avant qu’il devienne un accessoire de mode ou un symbole d’événement, je l’associais déjà à quelque chose de précieux, d’utile, presque d’affectif. Petite, quand je rendais visite à ma famille à Hambourg dans les années 90, ma grand-mère en avait toujours un sur elle. Un vieux sac en tissu solide, usé par le temps, qu’elle utilisait pour aller au marché ou à la bibliothèque. C’était simple, pratique, durable — et surtout, cela faisait partie d’un mode de vie.
Alors aujourd’hui, quand je vois des tote bags s’accumuler dans les placards, souvent offerts en masse lors d’événements se voulant responsables, je ne peux m’empêcher de ressentir un bon gros tiraillement. À quel moment ce geste, autrefois plein de sens, s’est-il transformé en réflexe parfois vide de cohérence ?
Et si le tote bag, devenu symbole d’un certain engagement, avait perdu tout son sens ?
Le paradoxe du goodies engagé
Distribuer un tote bag en coton bio à l’entrée d’un événement semble être une bonne idée. Il est perçu comme un objet responsable, utile, qui prolonge l’expérience. Pourtant, la réalité est plus complexe.
Un tote bag en coton, même bio, n’est pas un objet anodin. Il nécessite une grande quantité d’eau pour être produit — jusqu’à 2 700 litres selon le WWF, soit l’équivalent de ce qu’une personne boit en trois ans. Il faudrait l’utiliser 149 fois pour compenser son impact environnemental selon une étude du ministère de l’Environnement danois.
Au-delà de sa fabrication, il y a aussi la question de son origine. Le coton, même bio, est rarement cultivé près de chez nous. Il vient majoritairement d’Inde, de Turquie ou d’Asie du Sud-Est. Il a donc parcouru des milliers de kilomètres avant d’être posé sur une table d’accueil à Lyon, Paris ou Marseille. Même éthique, même certifié, il n’est pas neutre.
Résultat : un objet que l’on pense “écolo” peut, en réalité, peser lourd dans le bilan carbone de l’événement.
Pourquoi continue-t-on d’en faire ?
Parce qu’on veut faire plaisir. Parce que l’objet permet de laisser une trace, un souvenir. Parce que dans l’événementiel, on a l’habitude de marquer les esprits par l’objet, de valoriser les partenaires, de montrer qu’on pense à nos participant·es.
Et aussi parce qu’on a parfois du mal à imaginer autre chose. Le goodies rassure. Il donne une forme tangible à l’attention qu’on veut transmettre. Mais cette attention ne passe pas forcément par un objet.
Quelles alternatives plus cohérentes ?
- Proposer une expérience à vivre plutôt qu’un objet à emporter : un photomaton imprimé sur papier recyclé, une station d’écriture de cartes postales, une œuvre collective participative.
- Offrir un don à une association au nom des participant·es. Un geste symbolique, fort, et souvent mieux reçu qu’un objet promotionnel.
- Travailler avec des artisans locaux ou proposer des goodies comestibles, durables, utiles et surtout choisis avec soin (pas en grande quantité).
- Mettre en place un système de consigne pour certains objets : gourdes, sacs, lunettes, carnets, etc. À la manière du festival Climax à Bordeaux, qui propose des objets consignés, à restituer à la sortie.
- Et pourquoi pas… ne rien offrir, mais inviter les participant·es à venir avec leur propre tote bag ? Comme on les encourage à venir en transports en commun ou à vélo, on peut aussi leur suggérer de venir équipés, avec un sac qu’ils aiment et qu’ils utilisent déjà. Un geste simple, qui dit beaucoup.
Ce que je pense vraiment
Je vais vous dire sincèrement ce que j’en pense. C’est le cœur méga meurtri que je vous dis ça, mais… il faut arrêter d’en faire. Vraiment.
Même si j’ai grandi avec. Même si j’en ai encore une énorme collection affective à la maison. Même si, j’en glisse un toujours dans mon sac “au cas où”.
Et puisqu’on parle franchement, parlons mode aussi. Car la mode est elle aussi très consommatrice de tote bags. Entre les collaborations, les événements presse, les lancements de collections… on en reçoit à chaque coin de rue. Je me suis surprise la semaine dernière à aller au marché avec mon tote bag A.P.C. Je vous jure, j’aurais pu me mettre des claques. Ha ha.
Oriana